À grand pas vers la récession
Par Andrea Siviero, Investment Strategist chez Ethenea
Le premier semestre 2022 a été le théâtre d’un ralentissement net de la croissance économique mondiale et d’une inflation durablement élevée. Ce n’est pas uniquement la guerre en Ukraine qui a précipité l’économie mondiale dans un scénario proche de la stagflation, la pandémie en Chine y a également contribué. Une récession se profile-t-elle à l’horizon ?
Dans un contexte d’inflation durablement élevée, de ralentissement de la croissance économique et de resserrement monétaire brutal, les risques de récession mondiale ont considérablement augmenté.
Nous assistons à un ralentissement conjoncturel synchrone à l’échelle mondiale, comme en témoignent le recul des indices des directeurs d’achat (PMI) depuis plusieurs mois et la phase de contraction dans laquelle sont entrées la plupart des économies développées.
Le scénario de base de l’économie mondiale a été revu à la baisse à plusieurs reprises afin de prendre en compte le ralentissement de la croissance et l’inflation élevée. En juillet, le FMI a corrigé les prévisions de croissance mondiales de 3,6 % à 3,2 % pour 2022 et de 3,6 % à 2,9 % pour 2023. Il a également averti du risque imminent de récession.
Ce scénario macroéconomique pessimiste est renforcé par d’autres menaces potentielles pour la conjoncture mondiale : un arrêt brutal des importations de gaz russe en Europe, un possible désancrage des anticipations d’inflation, ce qui impliquerait une politique encore plus restrictive, des crises de grande ampleur dans les pays émergents susceptibles d’être déclenchées par un durcissement des conditions financières, des nouvelles vagues de Covid et mesures de confinements, une aggravation de la crise immobilière en Chine, et des dangers géopolitiques susceptibles d’entraver la coopération et les échanges internationaux.
Alors que nous observons un ralentissement conjoncturel synchrone et un durcissement de la politique monétaire à travers le monde (à quelques exceptions notables près), les perspectives économiques et la dynamique de l’inflation varient d’un pays à l’autre.
Les États-Unis
Le durcissement actuel de la Fed prend de la vitesse et la demande globale ralentit. La restauration de la stabilité des prix s’accompagnera quasi inévitablement d’une longue phase de croissance faible et de hausse du chômage, ce qui augmente la probabilité de récession. Point positif, la Fed semble en passe de reprendre le contrôle de l’inflation et d’augmenter sa marge de manœuvre politique, sachant qu’elle peut encore compter sur une économie et un niveau d’emploi solides.
La zone euro
Alors qu’elle ne s’est pas encore complètement remise du choc de la pandémie, l’économie de la zone euro subit une inflation historiquement élevée, une pénurie d’énergie et une sécheresse dévastatrice. La BCE a attendu le mois de juillet pour durcir sa politique monétaire alors que la croissance économique avait déjà commencé à ralentir. La détermination affichée par la BCE de ramener à tout prix l’inflation vers sa cible augmente la probabilité d’une récession en 2023. La politique budgétaire pourra atténuer les effets négatifs de la stagflation, mais de manière générale, il sera sans doute difficile d’échapper à une récession au deuxième semestre.
La Chine
Le Congrès national du peuple chinois a annoncé un objectif ambitieux de 5,5 % pour la croissance du PIB pour 2022, mais les responsables ont déjà tacitement reconnu que cet objectif ne sera pas atteint. Une politique accommodante continuera de soutenir la croissance, mais un endettement excessif, une demande en baisse et des tensions entre objectifs économiques et considérations de santé publique devraient continuer de freiner la croissance jusqu’à la fin de l’année. Les tensions géopolitiques avec les États-Unis au sujet de Taïwan sont une source de préoccupation supplémentaire pour la Chine et l’économie mondiale.
Vers un atterrissage en douceur ou une récession ?
Les statistiques conjoncturelles sont mitigées et l’incertitude est grande. L’écart entre facteurs objectifs (« hard ») et subjectifs (« soft ») se creuse : les sondages révèlent un ralentissement de l’économie alors que les facteurs objectifs restent relativement stables.
Dans un contexte de stabilité de l’emploi, la consommation se maintient tandis que la confiance des consommateurs et des entreprises s’approche du point le plus bas du cycle. L’activité manufacturière ralentit, tandis que les marchés immobiliers mondiaux baissent rapidement en température, montrant des signes préoccupants de surinvestissement et annonciateurs de crise.
L’évolution de l’inflation et la capacité de résistance des économies seront déterminantes pour éviter une récession. Si l'inflation reste élevée, les banques centrales poursuivront le resserrement de leur politique, les perspectives économiques se dégraderont et les risques de récession augmenteront.
Comment évoluera le scénario macroéconomique dans les mois à venir ?
Les signes de ralentissement de la demande globale, l’apaisement relatif du côté de l’offre et la baisse des prix des matières premières durant l’été avaient suscité l’espoir que les banques centrales pourraient réajuster leur politique afin de négocier l’atterrissage en douceur tant espéré.
Toutefois, les banques centrales ont besoin de preuves claires et convaincantes concernant un recul de l’inflation sous-jacente avant de revoir leur trajectoire de resserrement. Les indicateurs tels que salaires, services collectifs, prix des assurances et loyers montrent que les tensions inflationnistes se sont renforcées et deviennent davantage structurelles.
Lorsque l’inflation est ancrée, les mesures prennent plus de temps à déployer leurs effets. Les banques centrales ont clairement fait savoir qu’elles étaient déterminées à faire baisser l’inflation et qu’elles n’étaient pas pressées de revenir à un cap accommodant.
Le scénario de stagflation va-t-il se transformer en récession ou est-ce que les banques centrales seront en mesure de faire atterrir les économies en douceur ? La stabilité des prix se fera au prix d’une période prolongée de durcissement monétaire et de hausse des rendements. Les banques centrales continueront de resserrer leur politique et de relever les taux d’intérêt afin d’éviter un désancrage des anticipations d’inflation et donc un ralentissement mondial qui pourrait déboucher sur une récession.