Atterrissage en douceur pour l'économie en 2023 ?
Andrea Siviero, Investment Strategist, Ethenea
Une répétition de la stagflation des années 1970 semble peu probable, néanmoins, l'environnement actuel présente plusieurs risques que nous ne devons pas sous-estimer. La piste pour un atterrissage en douceur de l'économie en 2023 nous semble relativement étroite.
L’environnement actuel caractérisé par une croissance modérée et une inflation durablement élevée fait peser des risques considérables sur la croissance mondiale tout en plaçant les dirigeants politiques dans une situation inconfortable. Une inflation durablement élevée peut entraîner un durcissement des conditions financières ainsi qu’un ralentissement de la dynamique de croissance en limitant la production et en ébranlant la confiance des consommateurs. Toutefois, un durcissement préventif injustifié de la politique monétaire pourrait étouffer la reprise économique sans parvenir à limiter les pressions inflationnistes causées par les coûts.
En 2020, le choc de la pandémie a porté un coup brutal à l’inflation et à la croissance qui se sont effondrées de concert. Les réactions politiques d’une ampleur inédite ont empêché une récession mondiale et favorisé une reprise très rapide et inhabituelle. Toutefois, le puissant rebond de la demande globale n’a pas pu être compensé par une offre restreinte, si bien que l’économie connaît aujourd’hui une phase d’adaptation difficile.
Le déséquilibre entre l'offre et la demande mondiales a engendré des pressions inflationnistes étonnamment résistantes. Cependant, la croissance économique est robuste, les taux de chômage sont proches ou inférieurs à leurs niveaux pré-pandémiques, et la menace d'une récession imminente nous semble minime. Après le fort rebond de l'économie mondiale en 2021, le FMI prévoit une croissance saine, supérieure à la tendance, de 4,4 % pour 2022.
En novembre dernier, la Fed a commencé à réduire sa politique exceptionnellement accommodante et a adopté une position résolument plus ferme en décembre, ce qui laisse entrevoir une accélération du rythme de normalisation pour 2022. Si certains économistes estiment que la Fed a attendu trop longtemps pour réagir, cette dernière a clairement indiqué qu'elle aura recours à tous les outils politiques disponibles pour éviter que les pressions inflationnistes ne s'installent. Le comportement récent en matière d'anticipations d'inflation (mesuré par le point mort d'inflation du Trésor américain à 10 ans) est rassurant quant à la crédibilité de la Fed dans sa lutte contre l'inflation.
Un environnement inflationniste très incertain à court terme
La stagflation des années 1970 découlait d'une combinaison unique d'erreurs de politique et d'un changement historique du système monétaire international, accompagnée de deux crises pétrolières majeures. Les récentes pressions inflationnistes résultent principalement des mesures de relance sans précédent prises à l'échelle mondiale pour faire face à la pandémie de Covid-19. La forte reprise de l'activité économique, la hausse des prix de l'énergie et les inadéquations inhabituelles entre l'offre et la demande liées à cette pandémie devraient s'estomper progressivement une fois que l'économie mondiale se rééquilibrera et que les perturbations inhérentes à la pandémie seront absorbées.
Des sondages récents signalent que les pénuries d'intrants et les perturbations de la chaîne d'approvisionnement culminent et se stabilisent progressivement à mesure des progrès réalisés dans la lutte contre la pandémie, et que les prix plus élevés stimulent les investissements dans les capacités de production.
Nous constatons un resserrement du marché du travail dans certains pays, mais rien n'indique clairement que les pressions inflationnistes engendrent des « effets de second tour » et se traduisent par des augmentations de salaire généralisées. Le marché du travail devrait progressivement se rééquilibrer avec l'amélioration de la situation sanitaire, et les pénuries de main-d'œuvre pourraient même contraindre les entreprises à accélérer le processus d'automatisation.
L'environnement inflationniste à court terme est très incertain mais peu de signes laissent présager une répétition de la Grande Inflation des années 1970. L'inflation est plus persistante que prévu il y a quelques mois, mais la situation actuelle ne pointe pas vers un changement de la dynamique de l'inflation à long terme. Le processus de normalisation des banques centrales a commencé et contribuera à freiner l'inflation en régulant la demande globale, tandis que la résorption progressive des pénuries d'approvisionnement et des goulots d'étranglement devrait permettre de réduire les pressions inflationnistes liées aux coûts.
Des défis considérables en vue
Même si un retour de la stagflation des années 70 est peu probable, l’environnement actuel comporte des risques qui ne doivent pas être sous-évalués.
Les risques inflationnistes suivent une tendance relativement haussière et pourraient se matérialiser si le déséquilibre entre l’offre et la demande se maintient plus longtemps que prévu. Plus les difficultés du côté de l’offre persistent, plus le risque est grand que celles-ci entraînent des effets de second tour et des pressions inflationnistes plus structurelles limitant la croissance économique.
Les anticipations de hausse rapide de l'inflation et le risque de spirale salaires-prix pourraient conduire les banques centrales des économies avancées à un resserrement monétaire trop agressif, ce qui pourrait entraîner une volatilité accrue des marchés et faire retomber leurs économies en récession.
La piste pour un atterrissage en douceur de l'économie en 2023 nous semble relativement étroite. Pour cela, il faudra combiner une expansion économique modérée, un retour progressif de l'inflation vers son objectif et un ajustement régulier de la politique monétaire. Les banques centrales devront faire preuve de flexibilité et l'action politique devra dépendre des données, être proportionnée et faire l'objet d'une communication adéquate pour éviter de revenir à la croissance terne précédant la pandémie.