Inflation et taux d'intérêt à long terme - les perspectives
Par Volker Schmidt, Senior Portfolio Manager chez Ethenea
L’évolution des taux à long terme est déterminée par l’inflation à moyen terme (2023 et 2024) et la trajectoire des taux directeurs qui en découle.
En avril de cette année, le taux d’inflation annuel a atteint 8,3 % aux États-Unis et 7,5 % dans la zone euro. Une chose est certaine : l’inflation reste pour le moment très élevée. Ce que l’on ignore en revanche, c’est jusqu'à quel point elle va continuer à augmenter dans les mois à venir. Cette évolution préoccupe sérieusement la BCE et la Fed. Que feront les banques centrales pour lutter contre l’inflation et dans quelle mesure les taux d’intérêt à long terme pourraient-ils augmenter ?
Ce que nous savons déjà
La Fed a déjà mis un terme à son programme d’achats obligataires et relevé ses taux directeurs en mars ainsi qu'en mai afin de casser la dynamique de l’inflation. C’est une certitude : d’autres hausses suivront. Par ailleurs, la Fed réduira son bilan en vendant des emprunts d’État et des obligations adossées à des créances hypothécaires sans réinvestir les montants issus des remboursements. Mais jusqu’à présent, les mesures et les annonces de la banque centrale américaine n’ont pas eu beaucoup d’effet sur la dynamique de l’inflation. Si l’inflation annuelle s’établissait encore à 7,5 % en janvier, elle a grimpé à 7,9 % en février avant de se hisser à 8,3 % en avril, du jamais-vu depuis le début des années 1980. Même chose dans la zone euro : l’inflation est passée de 5,1 % en janvier à 7,5 % en avril. La BCE a réduit le rythme de ses achats obligataires nets sans y mettre un terme, mais a laissé ses taux directeurs inchangés.
Les rendements des obligations à long terme se sont inscrits en forte hausse et les conditions des nouveaux crédits se sont durcies. En Allemagne, pour les crédits immobiliers avec une garantie de premier rang et un taux d'intérêt fixe à 10 ans, il faut désormais verser plus de 2 % d’intérêts. Aux États-Unis, les conditions applicables aux hypothèques à 30 ans en cours s’établissent à 5,25 % – un niveau inédit depuis 2010.
Ce à quoi nous pouvons nous attendre
Dans ce contexte, il est relativement simple de prédire le comportement des banques centrales. Aussi bien la Fed que la BCE relèveront leurs taux directeurs. La Fed augmentera significativement le Fed Funds Rate d’ici la fin de l’année. La nouvelle fourchette de fluctuation cible devrait s’échelonner entre 2,5 % et 2,75 %, voire un peu au-delà. La BCE devrait également relever les taux d’intérêt négatifs pour sa facilité de dépôt d’ici la fin de l’année. Un relèvement du taux repo est même envisageable dès cette année.
En revanche, l’évolution de l’inflation est plus difficile à pronostiquer.
Alors que, aux États-Unis, les différentes composantes entrant dans le calcul de l’inflation sont déjà en baisse ou en forte décélération, les coûts des loyers et de construction des logements individuels s’envolent. Les effets de second tour induits par la hausse des salaires, des prix de l’énergie et des coûts de transport continueront d’alimenter l’inflation des produits et des services, mais l’on ignore à quel rythme.
En Europe, la flambée des prix de l’énergie joue un rôle déterminant dans l’évolution de l’inflation. Sa trajectoire ultérieure est difficilement prévisible en raison des possibles boycotts et d’une production d’électrique dépendante des conditions de vent et du niveau des eaux. Les interventions des autorités, dont l’ampleur n’est pas encore chiffrable, réduiront certes l’inflation, mais feront gonfler la dette publique. En revanche, nous estimons que l’inflation annuelle, aux États-Unis comme en Europe, devrait augmenter encore un peu au deuxième trimestre, sans toutefois dépasser la barre des 10 %. Nous nous attendons à ce qu’elle recule légèrement en fin d’année 2022. Mais des taux d’inflation supérieurs à 5 %, voire à 6 %, restent tout à fait envisageables en décembre 2022.
Ce que nous ne pouvons pas (encore) savoir
L’évolution des taux à long terme est toutefois encore plus déterminée par l’inflation à moyen terme (2023 et 2024) et la trajectoire des taux directeurs qui en découle Nous pouvons spéculer à l’infini sur ce point, mais rien n’est certain. La réduction du bilan de la Fed et les achats résiduels de la BCE peuvent également déclencher des perturbations. Personne ne sait qui remplacera les banques centrales dans leur fonction d’acheteur. Une augmentation au moins temporaire du rendement des Bunds à 10 ans à 1,25 % et des bons du Trésor à 10 ans à 3,25 % au deuxième trimestre est envisageable. Mais par la suite, le marché devrait marquer une pause. Les hausses de rendement actuelles sont impressionnantes et l’incertitude entourant l’évolution en 2023 est immense.
Dans tous les cas, une reprise économique est exclue, que ce soit aux États-Unis ou dans la zone euro, compte tenu des niveaux stratosphériques de l’inflation. Soit l’économie va vaciller, ce qui fera ensuite diminuer l’inflation et le besoin d’intervention des banques centrales, soit une inflation durablement élevée pèsera sur le moral des consommateurs et induira un net repli de la croissance. Quoi qu’il en soit, la croissance a déjà sensiblement ralenti au premier trimestre 2022. Aux États-Unis, le produit national brut a même légèrement reculé par rapport au trimestre précédent.
Même si les taux d’inflation en Europe et aux États-Unis devraient encore augmenter ce trimestre, ils reculeront vers la fin de l’année et surtout début 2023. En revanche, nous ignorons si les mesures restrictives attendues des banques centrales ramèneront l’inflation sur la trajectoire souhaitée des 2 %. Si les anticipations d’inflation pour 2023 et 2024 tendaient à osciller entre 3 et 4 %, les banques centrales seraient contraintes d’ajuster une nouvelle fois leur politique. Il s’ensuivrait une nouvelle hausse des taux directeurs et des taux d’intérêt à long terme.