Les marchés anticipent de nouveau un trop grand nombre de baisses des taux d'intérêt aux États-Unis
Par Luca Pesarini : Chief Investment Officer & Portfolio Manager chez ETHENEA
Nous continuons de tabler sur une croissance mondiale d'environ 3 %. Les craintes de récession nous paraissent prématurées. L'inflation semble maîtrisée, ce qui permet aux banques centrales de continuer à assouplir leur politique monétaire. Des chiffres de croissance plus élevés que prévu et une nouvelle pression sur les prix pourraient indiquer que la phase d'assouplissement est plus courte que ce qui est actuellement intégré dans les prix.
L'économie mondiale continue de ralentir après le rythme modéré du premier semestre. Le secteur des services en reste le moteur, tandis que l'industrie manufacturière souffre de la faiblesse de la demande de biens et des tensions géopolitiques et commerciales. Un atterrissage en douceur de l'économie mondiale reste le scénario le plus probable. Même si l'incertitude est grande, les craintes de récession sont néanmoins exagérées. Les risques d'inflation diminuent à mesure que l'activité économique ralentit. La baisse de la demande devrait contribuer à faire baisser l'inflation dans le secteur des services, qui était jusqu'à présent persistante. À l'exception de la Banque du Japon, toutes les grandes banques centrales ont désormais commencé à assouplir leur politique monétaire, ce qui devrait se poursuivre en 2025.
À moins d'une récession inattendue, ces nouvelles mesures seront prises avec prudence et de manière progressive. Nous constatons d'énormes différences régionales : l'économie américaine ralentit mais reste sur la voie d'un atterrissage en douceur, tandis que la reprise de la zone euro s'essouffle et que l'économie chinoise ralentit en raison du secteur immobilier, de la hausse du chômage et de la faiblesse de la demande intérieure. Le plan de relance annoncé en Chine ce mois-ci est principalement axé sur la politique monétaire. Bien que les marchés boursiers aient réagi très positivement, nous doutons qu'elle ait un effet économique réel à moins que des mesures fiscales supplémentaires ne soient prises. Dans l'ensemble, on peut supposer que l'économie mondiale est sur la voie d’une croissance modérée sérieusement mise à l'épreuve par les incertitudes politiques, les crises géopolitiques, le protectionnisme et les déficits budgétaires élevés.
ÉTATS-UNIS : dans la phase tardive de son cycle d'expansion
Les dernières données américaines confirment que l'économie est en train de ralentir. Le secteur manufacturier se contracte, la production et les commandes diminuent et le nombre de salariés stagne. En revanche, au mois d'août, le secteur des services a poursuivi son expansion à un bon rythme et a enregistré de solides volumes de commandes. Malgré cela, la dernière estimation de la croissance du PIB pour le troisième trimestre est de 2,5 % en rythme annualisé. Rien n'indique que l'économie américaine se dirige vers une récession. Les revenus et les dépenses des particuliers sont tous deux sains malgré l'affaiblissement du marché de l'emploi. La baisse constante du taux d'épargne pourrait entraîner un refroidissement des dépenses de consommation à l'avenir. La demande des ménages reste robuste, avec une augmentation modérée des ventes au détail et une amélioration du moral des consommateurs. Les futures baisses de taux d'intérêt devraient contribuer à améliorer la confiance. L'inflation américaine a continué de baisser en août, tombant à 2,5 %. En raison de la hausse des coûts du logement, l'indice des prix à la consommation de base reste à un taux annuel de 3,2 %.
Une baisse significative des prix et des anticipations d'inflation solidement ancrées donnent désormais à la Fed une marge de manœuvre pour répondre à la dégradation du marché du travail. Malgré un taux de chômage en légère baisse à 4,2 %, le marché du travail a poursuivi la tendance négative des mois précédents en enregistrant 142 000 nouvelles embauches en août, un chiffre inférieur aux attentes. La Fed a commencé à baisser ses taux directeurs de 50 points de base. D'autres suivront cette année et l'année prochaine. L'économie américaine semblant toujours se trouver dans la phase tardive de son cycle d'expansion, nous ne pensons pas que la Fed « derrière la courbe ». Nous prévoyons donc moins de baisses de taux d'intérêt d'ici la fin de l'année prochaine que les quelques dix baisses déjà intégrées dans les prix.
Zone euro : reprise économique en perte de vitesse
La reprise économique dans la zone euro est clairement en perte de vitesse. Avec 0,2 %, la croissance du PIB au deuxième trimestre a été inférieure aux estimations. Les dernières données indiquent un déclin de l'activité économique, avec toutefois des différences régionales. L'économie allemande reste fragile et aucune amélioration ne se profile à l'horizon si l'on en croit les indicateurs avancés. L'Espagne et l'Italie, en revanche, montrent des signes d'amélioration de la croissance. La France est en proie à l'incertitude politique. Bien que le taux de chômage dans la zone euro soit tombé à un niveau record de 6,4 % en juillet, on peut se demander si le faible taux de chômage et la baisse des taux d'intérêt suffiront à stimuler les dépenses de consommation. Après plusieurs mois positifs, la confiance des consommateurs s'est affaiblie en août, restant bien en deçà de son pic post-pandémique. L'inflation a continué de baisser en août, atteignant 2,2 % depuis le début de l'année, soit le niveau le plus bas depuis le milieu de l'année 2021. L'inflation de base a également baissé, à 2,8 %. L'inflation des services reste tenace, atteignant 4,2 % depuis le début de l'année.
La poursuite de la désinflation et la révision à la baisse des prévisions de croissance du PIB à 0,8 % permettent non seulement à la BCE de poursuivre la baisse des taux, mais la rendent carrément nécessaire. Après la deuxième réduction de 25 points de base des taux d'intérêt en septembre, nous pensons que la BCE poursuive sur cette voie avec retenue et prudence - trop de prudence, à notre avis.
Chine : de nouvelles mesures de relance fiscale et monétaire sont nécessaires
La croissance économique de la Chine s'est encore affaiblie au troisième trimestre. L'économie chinoise continue de souffrir d'une perte de vitesse et est affectée par la faiblesse du marché du travail, de la consommation et des vents contraires provenant du secteur de l'immobilier. Les dernières données sur l'activité économique montrent que la production industrielle a connu son plus fort recul depuis 2021, tandis que la consommation et l'investissement se sont également affaiblis plus que prévu. Les indices PMI confirment cette perte de vitesse. Le secteur manufacturier continue de décliner et subit des pressions tant du côté de la demande que de l'offre. Le secteur des services a fait preuve d'une certaine résistance et s'est légèrement amélioré en août. Le taux de chômage a augmenté pour atteindre 5,3 %, ce qui témoigne de la faiblesse de la demande intérieure. L'amélioration des exportations vers les pays asiatiques soutient la production industrielle et atténue les effets de l'économie chancelante.
Le ralentissement de la demande mondiale, la montée des tensions commerciales, l'aggravation de la déflation et les droits de douane sont néanmoins des signes inquiétants qui montrent que l'économie chinoise a besoin de nouvelles mesures de relance fiscale et monétaire pour atteindre son objectif de croissance annuelle du PIB de 5 %. Alors que les dirigeants politiques ont jusqu'à présent soutenu activement l'affaiblissement de l'économie par des mesures de relance budgétaire relativement modestes, la Banque centrale chinoise a lancé le mois dernier un ensemble plus complet de mesures de politique monétaire. Cette mesure a été accueillie par une montée en flèche des prix sur les marchés financiers locaux. Cependant, nous doutons que l'économie réelle bénéficie de l'effet multiplicateur de ces mesures. À notre avis, d'autres paquets fiscaux seront nécessaires pour que cela se produise.