« Whatever it takes » 2.0
Par Volker Schmidt, Senior Portfolio Manager, Ethenea
Les marchés obligataires ont déjà intégré la majeure partie des relèvements de taux anticipés dans les prix. La Banque centrale européenne va devoir relever considérablement les taux dans les semaines et les mois à venir pour ne pas mettre en péril sa crédibilité.
Il y a presque dix ans, le 26 juillet 2012, celui qui présidait alors la Banque centrale européenne (BCE) et qui est actuellement à la tête de l’Italie a prononcé les mots devenus célèbres « Whatever it takes », qui devaient favoriser un tournant dans la crise de l’euro. Depuis, l’expression « Whatever it takes » (en français : « quoi qu'il en coûte ») est entrée dans le langage courant et désigne une politique prête à tout pour éviter une crise et restaurer la confiance de la population et des acteurs économiques.
Or les chiffres actuels de l’inflation montrent que des mesures aussi urgentes s’imposent en ce moment : l’inflation en Allemagne a atteint 7,9 % au mois de juin, et les prévisions des économistes tablent sur une inflation moyenne de 6,8 % dans la zone euro en 2022, puis sur une modération en 2023 à la faveur d’effets de base, mais des niveaux néanmoins toujours élevés.
Il va de soi qu’il est très difficile d'établir des prévisions dans les conditions économiques actuelles. Ensemble, la crise en Ukraine, les mesures de restriction liées au coronavirus et les problèmes d’approvisionnement forment un cocktail hautement imprévisible de variables en perpétuel changement, et le vœu que la timide reprise économique de la zone euro au lendemain de la crise sanitaire ne soit pas tout de suite étouffée est bien compréhensible. Néanmoins, dans le contexte de l’inflation actuelle, des taux directeurs de -0,5 % n’ont plus de raison d’être aux yeux de nombreux citoyennes et citoyens, entraînant, dans le pire des cas, une érosion de confiance considérable et une division de la société. Les erreurs de prévisions sont humaines.
La BCE devrait relever les taux près des 2%
Le tournant de politique monétaire a commencé depuis longtemps déjà. La Banque centrale américaine a récemment relevé la fourchette des taux des Fed Funds de 0,75 % à 1,50 %–1,75 % ; malgré les craintes grandissantes de récession, la Banque d’Angleterre (BoE) a remonté de 0,25 % ses taux directeurs à cinq reprises, les portant à 1,25 %, et même la banque centrale suisse, malgré des taux d'inflation globalement faibles, a surpris avec un tour de vis de 0,5 %. Seule la Banque centrale européenne semble tétanisée et s’en tient encore à sa politique de taux faibles. Quoi qu'il en soit, la BCE ne pourra pas éviter d’adopter un nouveau cap. La Fed joue à cet égard un rôle dominant, car avec une politique monétaire opposée, la BCE risque la dépréciation de l’euro et, par conséquent, dans le pire des cas, une flambée supplémentaire de l’inflation.
Comme chacun sait, c’est l’avenir qui se négocie en bourse, autant sur les marchés actions qu’obligataires. Les rendements à 2 ans des obligations d’État sont un indicateur assez révélateur des anticipations des investisseurs en ce qui concerne l’évolution des taux : en effet, l’examen des données historiques montre qu'ils reflètent assez fidèlement le taux de rémunération des dépôts de la BCE. Depuis mars de cette année, les rendements des emprunts d'État et le taux directeur se sont considérablement dissociés (0,86 % pour les emprunts d'État et -0,5 % pour le taux de dépôt de la BCE). Le marché anticipe donc au moins cinq relèvements des taux qui porteraient ces derniers à 1,25 %. Nous considérons même que cette estimation est insuffisante et qu’au cours de l’année prochaine, la Banque centrale européenne sera contrainte de largement dépasser le niveau de 1,5 % pour s’approcher davantage de 2 %, et ce afin d'éviter une dépréciation supplémentaire de l’euro. Nous estimons donc qu’il existe encore un potentiel d’accroissement des rendements à court terme (et donc de baisse des cours des obligations) et avons positionné nos portefeuilles en conséquence, au moyen de la vente de contrats à terme sur les taux en euro.
Il est temps que la BCE mette explicitement un terme à la politique monétaire de ces dix dernières années et commence à prendre des mesures vastes et crédibles afin d’endiguer l’inflation. En l’occurrence, les outils les plus importants dans l’arsenal d’une banque centrale ne sont pas les achats d’obligations ou les taux directeurs, mais plutôt l’intégrité et la crédibilité. La BCE en a déjà largement fait preuve ces dix dernières années, et il n’est pas trop tard pour regagner la confiance des citoyennes et citoyens. Pour cela, un tournant majeur de politique monétaire sera nécessaire : un nouveau « Whatever it takes ».
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Wim Heirbaut