Whatever it takes 2.0
Par Martin Dreier, Senior Portfolio Manager, Ethenea
Les programmes de liquidité initiés par la Fed et la BCE peuvent permettre d’alléger les tensions immédiates au sein du système, mais ils ne suffisent pas à résoudre les problèmes de l’économie réelle.
La crise déclenchée par le coronavirus a des répercussions majeures sur l’économie réelle : la fermeture des usines entraîne non seulement des arrêts de production, mais des pans entiers de l’industrie des services perdent aussi leurs moyens de subsistance : le contact direct avec les clients. La crainte des citoyens quant à la sécurité de leur emploi tend à restreindre les quelques possibilités de consommation encore disponibles.
Les nouvelles demandes d’allocations de chômage aux États-Unis la dernière semaine de mars donnent un premier aperçu des conséquences de la crise sur un marché de l’emploi américain qui avait bien résisté jusqu’à présent. Près de 3,8 millions de demandes ont été enregistrées, soit une hausse considérable par rapport aux 311 000 nouvelles demandes hebdomadaires enregistrées en moyenne sur les 10 dernières années.
L’arrêt brutal de la demande a des répercussions à tous les niveaux des chaînes de distribution. Selon une enquête de l’association des Chambres de commerce et d’industrie allemandes publiée le 27 mars, 20 % des entreprises interrogées se déclarent menacées de faillite. Alors que le confinement, qu'il soit volontaire ou imposé, annihile les rentrées d’argent, les charges courantes telles que les salaires et les loyers pèsent sur la trésorerie des entreprises. Tant que la durée et l’ampleur de la crise du coronavirus resteront inconnues, les entreprises tenteront de préserver au maximum leur trésorerie. C’est ainsi qu’elles ne passent plus de nouvelles commandes d’une part et se dégagent une marge de manœuvre financière en tirant sur leurs lignes de crédit renouvelables à court ou moyen terme d’autre part. Mais la sortie de fonds qui en découlent pose de sérieux problèmes de refinancement aux banques. Alors que les grandes entreprises ont la possibilité d’utiliser leurs lignes de crédit, les petites entreprises ne peuvent déjà plus payer les intérêts et les coupons. Par ailleurs, des actifs sont vendus en masse sur les marchés pour dégager des liquidités. Mais les ventes, qui ne trouvent pas preneurs, font baisser les prix à des niveaux inférieurs à ceux justifiés par les fondamentaux. La panique se propage et la crise commence à s’auto-alimenter.
Eteindre les incendies
Les banques centrales ont montré leur capacité à éteindre les incendies au cours des dernières décennies. En tant que pourvoyeuses de liquidités en dernier ressort, elles jouent un rôle central dans la lutte contre les crises systémiques. Les crises précédentes nous ont appris à quel point le timing des signes de soutien et des interventions était crucial.
Les plans d’urgence par la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed) peuvent permettre d’alléger les tensions immédiates au sein du système. Ainsi, les mesures aux acronymes imprononçables de la Fed représentent jusqu’à 4 000 milliards de dollars en plus des programmes d’achats illimités de bons du Trésor et de créances émises par les agences américaines (Agency Debt).
Dans la zone euro, la BCE a décidé dès le 18 mars de lancer un nouveau programme d’achats obligataires limité dans le temps. Le « Pandemic Emergency Purchase Programme » (PEPP) permet à la BCE d’acheter jusqu’à 750 milliards d’euros d’emprunts d'État, de titres adossés à des actifs (Asset Backed Securities), d’obligations sécurisées (ou « covered bonds ») et d'obligations d'entreprises notées investment grade. En parallèle, la BCE a annoncé qu’elle adopterait une approche souple à l’égard de la clé de répartition du capital dans le cadre du PEPP afin de se réserver la possibilité d’acheter davantage d’emprunts des États périphériques déjà très endettés tels que l’Italie. En outre, elle accorde une exception aux emprunts d'État grecs dans la mesure où la note « haut rendement » du pays ne correspond pas aux critères d’achats. Le programme de la BCE vise ici aussi à approvisionner les marchés en liquidités, à faire baisser les coûts de refinancement et à couper court aux crises prenant une tournure systémique.
De par leur ampleur, les mesures de soutien monétaire annoncées aux États-Unis et en Europe dépassent tous les plans de sauvetage mis en place durant la crise financière mondiale de 2008 ou la crise de l’euro en 2011/12.
Néanmoins, les programmes de liquidité ne suffisent pas à résoudre les problèmes de l’économie réelle. Il faut y ajouter une action budgétaire concertée qui aide les salariés et les chefs d’entreprises touchés par les fermetures qui, espérons-le, ne sont que provisoires. Ceci nous semble beaucoup plus simple à mettre en œuvre aux États-Unis que dans l’Union européenne où les intérêts nationaux divergents prennent le pas sur le collectif.
Aucun programme, qu’il soit de nature monétaire ou budgétaire, ne pourra financer un arrêt de longue durée de la vie publique et donc économique. Il est donc impératif de juguler la propagation du coronavirus pour limiter avant tout les pertes humaines, mais aussi pour redonner une certaine visibilité aux salariés et aux chefs d’entreprise. Les mesures des banques centrales et les plans d’aide d’urgence en Europe et aux États-Unis représentent des premiers pas importants vers l’atténuation des conséquences de la crise liée au coronavirus tout en envoyant un signal positif à l’économie et aux marchés financiers. Mais elles ne seront certainement pas les dernières...